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La paix peut-être

Par Michel Piçquart

Après la signature du dernier accord, le 15 septembre à Mexico, entre le gouvernement du Guatemala, l'armée et l'URNG (Union révolutionnaire nationale guatémaltèque), le processus de paix, qui doit se conclure à la fin de l'année, semble, malgré quelques heurts, bien enclenché.

Ce processus a commencé avec un texte de la guérilla d'octobre 1987 qui proposait un dialogue avec tous les secteurs du pays et une négociation afin de trouver une solution politique au conflit armé. La position des insurgés se résumait dans cette phrase : « Que tous les Guatémaltèques honnêtes participent à ce processus qui permet d'incorporer dans les institutions les revendications politiques, économiques et sociales de notre peuple afin d'affronter non seulement la grave crise économique et sociale, mais aussi de commencer à trouver une solution aux causes qui déclenchèrent la guerre. »

En 1990, les discussions de la CNR (Commission nationale de réconciliation du Guatemala) avec l'URNG conduisirent à la signature de l'Accord fondamental pour la recherche de la paix par des moyens politiques, dans lequel les deux parties s'engageaient à réaliser des réunions avec les secteurs sociaux et politiques avant de rencontrer le gouvernement, en avril 1991, date à laquelle a été défini un plan général de négociation.

Trois mois après, le gouvernement, la guérilla et la CNR souscrivaient à l'Accord de Queretaro, contenant des éléments faisant référence au thème de la démocratisation. L'« auto-coup d'Etat » de Jorge Serrano Elias en 1993 a empêché toute poursuite des négociations.

Ce n'est qu'en 1994, avec l'arrivée à la présidence de Ramiro de Leon, que les parties en présence réalisèrent des compromis sur certains des sept thèmes en discussion. Quatre accords furent alors signés : la reprise du processus de négociation, la prise en compte des droits de l'homme, la réinstallation des populations déracinées et la mise en place d'une commission pour la vérité historique. En mars 1995, fut signé l'accord sur l'Identité et les droits des peuples indigènes. Enfin, un compromis a été trouvé avec le nouveau président, Alvaro Arzu, le 6 mai dernier, sur les questions socio-économiques et la situation agraire.

Rôle de l'armée

Durant toute cette période, quatre civils au pouvoir limité par les militaires ont occupé le fauteuil présidentiel. Aucun accord n'avait été possible sous les présidences de Vinicio Cerez et de Jorge Serrano mais, à partir de 1994, est apparu au sein de l'armée un groupe de militaires décidés à respecter l'ordre constitutionnel et à abandonner le soutien sans faille à un Etat militarisé rétif à tout changement.

Après l'arrivée d'Alvaro Arzu à la présidence, la guérilla et l'armée ont annoncé l'arrêt des hostilités, afin de faciliter les discussions de paix. Cela a d'ailleurs coïncidé avec la promotion à la tête de l'armée de militaires favorables à une épuration en son sein.

Les rencontres entre le président Arzu et les dirigeants rebelles, les gestes pour faciliter les discussions, l'ouverture de canaux pour la participation de la société civile laissent espérer qu'un accord de paix ferme et durable sera signé en décembre, mettant fin ainsi à un conflit armé qui dure depuis près de trente-six ans et qui a causé 150 000 morts, 45 000 disparus, 40 000 veuves, 200 000 orphelins, 500 000 réfugiés et un million de déplacés internes.

Deux thèmes importants firent l'objet des nombreuses séances de négociations qui se sont conclues en septembre : les réformes constitutionnelles et le renforcement du pouvoir civil d'une part, la fonction de l'armée dans une société démocratique de l'autre. Les cadres de l'état-major admettent la réduction des forces armées car ils estiment le processus de paix irréversible. Le gouvernement s'est engagé à réduire les effectifs militaires (45 000 hommes) d'un tiers, graduellement sur une période de douze mois et admet la possibilité que, dans le l'avenir, le ministre de la Défense soit un civil. Au bout de cinq ans, c'est donc enfin au tour des militaires guatémaltèques de signer un compromis qui, sur le papier, prévoit leur retour définitif dans les casernes après un siècle de tradition militariste. Tout cela ne s'est pas fait sans grincements de dents. Début juillet, six colonels et un général ont été mis à la retraite par le président Arzu alors que d'autres officiers étaient promus.

Pour le GAM (Groupe d'appui mutuel), qui représente les familles de 45 000 disparus politiques, ces mises à la retraite visent à vider de leur contenu les négociations de paix en essayant « d'éviter la discussion de quelques points comme la démilitarisation de la société » et à cacher la défaite politique de l'institution militaire. Mais cela permet également d'éloigner une éventualité de coup d'Etat.

La dissolution, indispensable, des sinistres PAC (Patrouilles d'autodéfense civiles), groupes paramilitaires regroupant 300 000 hommes au total, résulte plus de la pression nationale et internationale que d'une réelle volonté de l'armée. Des voix se sont fait entendre pour dire qu'elles avaient été créées en 1982 dans le cadre de la lutte antiguérilla par un décret du Congrès législatif et qu'il serait logique que ce soit ce même organisme qui les dissolve, plutôt que de laisser ce soin à l'armée. Néanmoins, 200 000 membres des PAC ont été démobilisés et désarmés depuis août. D'après l'armée, la démobilisation complète devrait avoir lieu avant la fin novembre, l'accord final de paix étant prévu pour décembre.

Le problème en suspens est celui du retour des guérilleros à la vie civile. La guérilla a déjà annoncé la démobilisation de ses forces et sa transformation en parti politique dès la signature définitive des accords. Les combattants rebelles se préparent ainsi à accéder à la vie politique au cours d'un processus de transition vers la démocratie, au sein duquel ils défendent un projet politique visant à construire une nouvelle nation pluriculturelle et multiethnique. Si cet objectif est commun à tous les secteurs de la guérilla, il existe apparemment quelques divisions en son sein, même si les principaux responsables refusent de le reconnaître.

Evolution de la guérilla

Certains secteurs semblent désobéir aux directives des dirigeants. Que penser en effet de l'implication d'un responsable de l'ORPA (Organisation révolutionnaire du peuple en armes, composante de l'URNG), reconnue par l'intéressé fin octobre, dans la séquestration en août dernier d'une femme chef d'entreprise de 86 ans ? L'URNG a accepté la responsabilité politique de l'enlèvement, tout en accusant son instigateur d'avoir agi sans autorisation et pour son propre compte. Cela a servi de prétexte à une suspension du dialogue de paix pendant dix jours et à l'arrêt temporaire par l'armée de la démobilisation des forces paramilitaires. Le représentant de l'ORPA à la table des négociations (Rodrigo Asturias alias commandant Gaspar Ilom) a dû quitter la délégation de l'URNG afin que les discussions puissent reprendre.

En ce qui concerne l'amnistie, un projet de loi présenté par l'Alliance contre l'impunité propose de ne retenir que les délits de rébellion et de sédition et les délits politiques qui y sont liés, mais prévoit qu'il ne pourra en aucun cas être décrété une loi d'amnistie générale laissant impunies les graves violations des droits de l'homme commises lors du conflit. Pour le GAM, l'armée doit donner les noms des officiers qui ont participé aux massacres, aux assassinats et aux tortures.

Oppositions

Mi-août 1996, un groupe clandestin au sein de l'armée a lancé des menaces de mort contre le président Arzu et contre plusieurs personnalités civiles dont Rigoberta Menchu et l'ancien président Vinicio Cerezo, ainsi que contre 57 officiers de haut rang. Cette organisation, Pregua, qui s'était déjà manifestée en janvier dernier, a qualifié ses cibles de « traîtres à la patrie » et a appelé les officiers à se soulever contre l'état-major . La Conagro (Coordination nationale agricole), qui réunit des propriétaires terriens particulièrement rétrogrades, a dénoncé les accords de paix déjà signés en traitant les négociateurs officiels de « guérilleros ». Elle proteste contre la propagande politique, les occupations de villages et les réunions à l'initiative de l'URNG.

Tant pour les militaires que pour les guérilleros, la démobilisation est une source d'inquiétude. Les processus similaires dans les pays voisins (Nicaragua, Salvador) n'offrent pas un exemple très encourageant. Les terres et les crédits promis en cas de retour à la vie civile n'ont toujours pas été octroyés et le découragement est grand dans les secteurs populaires.

Le nerf de la paix

Paix des armes n'est pas synonyme de paix sociale : les occupations de terres, souvent à l'initiative d'anciens réfugiés, continuent, tout comme la répression policière pour les déloger.

Par ailleurs, la paix coûte cher. Le gouvernement du Guatemala cherche des aides économiques auprès de la communauté internationale pour financer et appliquer les accords de paix déjà signés. Environ 300 millions de dollars seraient nécessaires uniquement pour réaliser le cadastre des terres prévu par les accords. L'Union européenne a promis 200 millions de dollars sur trois ans pour financer des projets dans les zones sinistrées par la guerre et les Etats-Unis... 3,7 millions de dollars. Si les accords entre le gouvernement et la guérilla associent des mécanismes d'exécution clairs à une participation active de la société civile organisée, il sera peut-être possible de réaliser les changements dont a besoin le Guatemala en matière de solution des graves problèmes de pauvreté, de corruption, de violence et d'impunité qui minent la société. Dans le cas contraire, la frustration sera immense et ses conséquences imprévisibles.


Encadré

La corruption, mal endémique
Volcans, numéro 24/numéro 9

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