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Ne vous-en faites pas pour le serpent, l'aigle s'en chargera

De retour d'un voyage en Amérique centrale, où il a participé aux commémorations du quinzième anniversaire de l'assassinat de Monseigneur Romero (voir l'article dans « Volcans » d'avril et l'encadré de ce numéro), Maurice Barth s'est rendu dans le Chiapas avec une délégation oecuménique européenne.

Nous n'avons pas rencontré le « sub », le sous-commandant Marcos. Mais il était présent partout ! Sur les trottoirs où les Indigènes nous offraient des poupées zapatistes de toutes tailles, blanches ou noires, affublées du fameux passe-montagne ; chez les boutiquiers, qui nous disaient que tout le peuple des petits est avec lui ; chez le libraire (français, paraît-il), qui a réservé un secteur de son magasin à la littérature zapatiste (on y trouve, entre autres, les discours et communiqués de Marcos sous le titre EZLN) ; dans les villages « gardés » par les militaires embusqués dans leurs casemates de terre, et où les habitants ont planté sur leurs masures des fanions blancs portant le mot Paz, message à double sens et protection dérisoire contre l'incursion des soldats ; dans le campement permanent devant la demeure de Tatic Samuel, destiné à le protéger contre une agression toujours possible des ganaderos, des colos autenticos ; dans les locaux du Conseil provisoire en rébellion ; dans nos rencontres avec la Conai (commission de médiation), de la Conpaz (coordination des ONG pour la paix), au Centre des droits de l'homme Bartolomé-de-Las-Casas et dans d'autres lieux de la société civile du Chiapas.

« Rien pour nous, tout pour tous ! »

Sur la route qui nous menait vers un village de montagne nous étions sans cesse obligés de ralentir à cause des nombreux topes bricolés (mais efficaces !) par les riverains pour protéger leurs volailles et leurs enfants contre les fous du volant. Anarchie ? Sans doute, mais aussi et surtout une façon de résister aux symboles de la société moderne envahissante. Ils ont bien ri quand nous leur avons dit qu'en France on surnommait cela un gendarme-couché ! Et tout à coup, en travers de la route, sur deux rangées parallèles mais disposées de telle façon qu'on puisse passer sans les écraser, d'étranges petites statuettes de terre glaise. Nous n'avons pas pu voir ce qu'elles représentaient. « C'est un message indien », nous dit André Aubry. Que signifie-t-il ? On ne le saura pas : l'Indien a son langage qui n'est pas fait pour nous, les Blancs, à moins de nous libérer de nos vacarmes technologiques, de notre savoir prétentieux, de nos gadgets et d'apprendre à réécouter le vent dans les arbres, le chant des oiseaux de la forêt, et de retrouver les vérités fondamentales de la vie qui créent l'homme, ses relations à l'autre et à l'univers. Ce qu'a su faire Marcos. Mais il lui a fallu dix ans ! Pour finalement proclamer le slogan des zapatistes d'aujourd'hui : « Rien pour nous, tout pour tous ! » Comment la société des « priistes », des ganaderos, des pétroliers et de la Banque mondiale peut-elle entendre cela sans accepter de se détruire, ou tout au moins de se remettre en question, ce qui revient au même ?

Le gendarme-couché peut faire rire, mais pas le militaire qui, à l'instigation des Etats-Unis, a envahi les villages du Chiapas, au mépris de la Constitution mexicaine, pourchassant les Indigènes comme des animaux sauvages, incendiant leurs maisons et leurs récoltes, encourageant l'alcoolisme (prohibé par Marcos), détruisant la bibliothèque d'Aguascalientes, symbole de la lutte contre l'analphabétisme, et contraignant plus de 25 000 paysans pauvres à errer dans les montagnes sans autre ressource que les racines et les plantes de la forêt.

Les mitraillettes traquent les idées

Le gouvernement mexicain ne sait-il pas que les mitraillettes et les bombes n'ont jamais pu détruire une idée, surtout si celle-ci revendique la dignité de l'homme !

Des négociations sont en cours, à nouveau, entre le gouvernement et les zapatistes soutenus par l'opposition à l'hégémonie du PRI, ainsi que par des femmes et des hommes de beaucoup de pays du monde, qui veulent « ce que veulent tous les êtres humains qui n'ont pas oublié qu'ils sont des êtres humains, c'est-à-dire la démocratie, la liberté et la justice » (1).

Le gouvernement mexicain saura-t-il enfin répondre à cet appel né des profondeurs de l'âme humaine autrement que par la violence stupide ? On peut en douter en assistant aux manoeuvres aussi dérisoires qu'inquiétantes auxquelles il s'est abaissé pour éviter d'affronter les racines, pourtant reconnues par le président Zedillo, de la subversion et qu'évoque André Aubry dans son dernier message : « La Commission parlementaire (Cocopa) a bâclé la préparation [des négociations]. Rien n'était prêt quand la rencontre a commencé [le 10 avril] : pas d'eau, pas d'électricité, pas de téléphone ; une pauvre masure arrangée à la hâte avec des matériaux de récupération est devenue la salle du dialogue'' dont la table n'offrait que dix-huit places pour la trentaine de participants. Le siège des négociations devait être une zone désarmée, mais une voiture blindée avec canon pointé en gardait l'entrée. On sait que le choix du lieu était un compromis, les zapatistes proposant la capitale, Mexico, le gouvernement proposant la forêt Lacandonne. Mais les Indiens du Chiapas ont voulu montrer que si les autorités ont peur des concentrations de foules, le peuple sera, de toute façon, massivement présent. Effectivement, à la veille du dialogue, le petit village tzotzil (1 200 habitants) était saturé avec 7 000 à 10 000 Indigènes accourus depuis les régions les plus lointaines des hautes terres et des vallées centrales. Le tout dans un ordre à la fois parfait et chatoyant, comme une fête, une discipline exemplaire et, en dehors du moment de leur arrivée en masse, dans un silence grave, impressionnant, qui a duré trois jours. » La délégation gouvernementale, repliée dans un hôtel de San Cristobal, refusant de négocier devant une telle foule, celle-ci s'est finalement retirée, laissant un cordon de sécurité de 800 Indigènes. « Les rôles ont finalement été redistribués. La Conai n'y était pas considérée comme médiatrice, mais seulement comme l'avocate de l'EZLN, tandis que la Cocopa agissait comme l'avocate de la délégation de l'exécutif. Ce n'était plus une négociation, mais un procès où l'accusateur était le gouvernement et l'accusé l'EZLN. Dans cette redéfinition des rôles, la tactique officielle consiste à éliminer les acteurs du conflit, pour isoler l'EZLN et rendre futile, d'un point de vue politique, le recours au dialogue. »

« Même si je meurs... »

Le prochain rendez-vous est fixé au 19 mai. « Si le ton du prochain rendez-vous négociateur est encore celui de l'insulte, le sang pourrait couler de nouveau, pour opposer un démenti à la thèse de l'épuisement militaire, mais ce ne serait plus seulement dans la forêt Lacandonne... » La sagesse l'emportera-t-elle ? Marcos concluait son message cité plus haut : « Je m'en vais car voici à nouveau l'avion de nos insomnies, je dois éteindre la lumière, mais je n'éteins pas l'espoir. La mort ne l'éteindrait pas. Je vous salue bien. [...] et ne vous en faites pas pour le serpent ; l'aigle va s'en charger. »


(1) Marcos : « Message aux hommes et aux femmes qui, dans des langues et sur des chemins différents croient en un avenir plus humain et luttent pour l'obtenir dès maintenant. » Publié par « Volcans », mars-avril 1995.


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