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Un accord post-électoral Aleman-Ortega ?

Entretien avec Oscar René Vargas

Le 28 mai, les inscriptions des candidats pour les élections présidentielle, législatives, municipales et régionales du 20 octobre ont été closes au Nicaragua. Dix-neuf partis se présentent seuls, quatorze autres ont formés cinq alliances électorales, le bulletin de vote offrira donc plus d'une vingtaine de choix à la Présidence. La majorité des électeurs nicaraguayens sont dans le doute et les indécis varient de 15 à 40 %, selon les sondages.

(Oscar René Vargas est sociologue et économiste. Il étudie les processus électoraux au Nicaragua depuis le siècle dernier et réagi sur le panorama électoral actuel.)

Volcans : A quoi est due la polarisation politique Aleman-Ortega pour ces élections ? Selon les derniers sondages, les autres candidats ne totalisent pas plus de 3 % des intentions de vote.

O. R. Vargas : Il y a deux courants : les libéraux et les sandinistes. Le libéralisme est un courant qui s'est radicalisé à droite. Les gens demeurent libéraux par tradition ou pour des considérations historiques. Ce courant récupère l'ensemble des opinions anti-sandinistes, anti-révolution sociale et en faveur de la restauration conservatrice. Le sandinisme recueille tous les espoirs pour que la Révolution puisse continuer, même si ses dirigeants ne brandissent plus le programme historique d'une révolution sociale. C'est ce que je qualifierais comme un processus de « PRI-isation » du sandinisme. Une nouvelle classe est apparue qui s'est enrichie à travers la piñata, c'est-à-dire dans l'appropriation des biens de l'Etat à la fin du gouvernement antérieur. Désormais elle représente des intérêts bancaires, commerciaux, des moyens et grands producteurs liés au café, à la banane, à la canne à sucre, à l'élevage et, évidemment, ne représente plus les intérêts des secteurs sociaux qui se sont appauvris. Le PRI, au Mexique, continue à avoir un discours en faveur des paysans, des secteurs opprimés, alors que sa direction politique est aux mains de cette nouvelle catégorie qui a émergé au sein du parti dès les années 30. Elle est apparue ici à la fin des années 80 et entretient ce double discours, cette double morale, comme moyen de maintenir un secteur social comme électorat captif. Cette situation puise ses racines dans une certaine forme de populisme. Le populisme en Amérique latine présente la caractéristique d'avoir une base sociale forte, liée à un personnage avec un double discours, un discours pour les pauvres et un discours pour la bourgeoisie. Je crois que c'est cette tradition que le Front a récupéré. Le parti s'habille d'une phraséologie marxisante, et c'est ce qui confond l'opinion internationale. Ce que nous vivons au Nicaragua, c'est un parti avec des racines populaires, qui ne peut pas abandonner ce discours pour ne pas rompre avec sa base sociale mais qui, pour ses intérêts économiques, fricotte avec les secteurs de la classe dominante. C'est tout le drame de ce pays.

Pourquoi un pourcentage aussi élevé d'intentions de vote pour le FSLN ?

O. R. V. : Tout est relatif. En 1980, après la campagne d'alphabétisation, s'il y avait eu des élections, le Front aurait facilement obtenu 80 ou 90 % des voix. En 1984, il n'en avait déjà que 67 %, en 1990, 40 %. Pendant les élections de 1990 sur la Côte atlantique, le FSLN a obtenu 28 % et, pour celles de 1996, les sondages varient entre 18 et 22 %. On peut remarquer que la baisse est permanente.

Que se passera-t-il après une défaite du FSLN en 1996 ?

O. R. V. : Une direction politique qui a vécu défaite sur défaite peut-elle continuer à diriger le parti ? Je pense que c'est possible. L'exemple français est illustratif. Si on observe les pourcentages de vote pour le Parti communiste avec G. Marchais comme secrétaire général, on est parti de 17 ou 18 % en 1973 pour arriver à 7 ou 8 % en 1994 avec la même direction. Je pense qu'on assiste au même phénomène au Nicaragua. La même direction, discréditée, ne représente aucune nouvelle alternative pour l'électorat.

Comment expliquer que le courant rénovateur n'a pas pu rassembler les personnes désabusées ?

O. R. V. : Le problème est qu'il n'y a pas eu rénovation, en premier lieu dans sa direction. Les gens identifient Sergio Ramirez, Dora Maria Tellez à cette direction politique traditionnelle discréditée, à son incapacité à changer les pratiques politiciennes. Ils ne se sont pas démarqués du front et il n'y a pas eu de processus de démocratisation interne dans le nouveau parti. Démocratisation du parti aurait impliqué de prendre ses distances avec la corruption, ce qui n'est pas possible. Non pas qu'ils soient corrompus, mais parce que certains profiteurs de la piñata se sont introduits dans le mouvement pour se protéger et ont interrompu le processus de rénovation.

Face au FSLN essoufflé, au mouvement rénovateur bloqué, quelle alternative pour les indécis ?

O. R. V. : Les gens ne savent pas pour qui voter. Le risque d'un taux d'abstention élevé existe et ce ne serait pas nouveau. Lors des élections après l'assassinat de Sandino en 1936, la majorité de la population s'est abstenue, alors que la seule option était celle de Somoza. Maintenant, avec 24 candidats, les gens vont s'y perdre et ne pas voter. C'est la fin du processus de révolution sociale. Seule une coalition qui rassemblerait, qui ferait surgir de nouveaux espoirs, pour démontrer que le processus de contre-réforme ne peut pas se poursuivre, pourrait attirer ces votes. Le fait de ne pas voter est en soi un glissement à droite.

Il n'existe déjà plus la possibilité que surgisse une option qui pourrait enthousiasmer les électeurs du Front sandiniste de 90 et qui ne vont pas voter cette année. Des 40 % d'électeurs déclarant qu'ils vont s'abstenir, près de la moitié a voté pour le FSLN en 1990. Là est la crise d'orientation politique, mais aussi la crise de ceux d'en haut qui s'avèrent incapables d'attirer le vote des indécis. C'est ainsi qu'il y a crise de ceux d'en haut et de ceux d'en bas. C'est ce qui nous permet de penser que la solution pour la stabilité et la gouvernabilité du pays passe par un pacte entre Aleman, l'extrême droite et Ortega.

Des rumeurs circulent sur des négociations entre l'alliance libérale et le FSLN afin de négocier un accord politique après 1996. Où en est-on ?

O. R. V. : Que dire de l'alliance historique entre Hitler et Staline ? Et plus récemment, que dire de l'accord entre le FMLN salvadorien et l'extrême droite Arena ? Je ne serais aucunement surpris par un accord de gouvernabilité entre le FSLN et Aleman. Cet accord a déjà eu lieu pour la RAAN (Région Autonome de l'Atlantique Nord). Le PLC et le FSLN ont eu le même nombre de votes, soit 28 %, et gouvernent ensemble.

Et par rapport à la question de la propriété ?

O. R. V. : Elle fera partie de l'accord. C'est l'axe central du sandinisme orthodoxe, qui n'est intéressé que par la préservation de ses propres intérêts matériels, ce qu'il doit s'efforcer de dissimuler sous une phraséologie éminemment populiste.

Comment sera le mouvement social, sa direction politique ?

O. R. V. : Il va y avoir un coût politique important pour le sandinisme. Il va y avoir des scissions entre les dirigeants, mais calculées pour ne pas disparaitre en tant que classe. En tant que politiques de gauche, ou progressistes, ils disparaitront. Le mouvement social a besoin de nouvelles structures, mais cela va prendre du temps. Une nouvelle direction politique doit également émerger. L'actuelle n'a plus aucun rôle à jouer face aux secteurs sociaux marginalisés. Maintenant qu'il n'y a plus de modèle à imiter, toutes les stratégies sont bonnes et cela va permettre de reconstruire des directions politiques beaucoup plus facilement en Amérique centrale. Je crois que pour cela il est important de connaitre les expériences historiques et l'une des tâches fondamentales au Nicaragua est de faire un bilan de la Révolution sandiniste de 79 à 90 avec ses bons et ses mauvais cotés. C'est un défi important pour reconstruire une nouvelle direction politique pour le pays.


Encadré

Les candidats et les alliances par familles politiques
Volcans, numéro 22

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