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Terres mayas à Paris

Par Sylvie Bosserelle Matamoros

Le musée de l'Homme conserve des oeuvres en provenance de nombreuses régions du monde, dont de très belles pièces mexicaines, qui n'ont pas mérité à ce jour l'ouverture d'une section dans l'une des ailes protectrices du musée du Louvre, ou mieux encore l'inauguration d'un musée consacré exlusivement à l'art des Amériques. Trois salles du musée de l'Homme leur sont consacrées.

Musée d'ethnographie en 1879 suite à l'Exposition universelle de 1878, le musée de l'Homme présente d'abord des objets exotiques. Puis, l'intérêt croissant pour les arts populaires, au tournant de la seconde moitié du XIXème, provoque l'ouverture d'une section française en 1884. Sous le Front populaire s'ouvre en 1937 le musée de l'Homme au sein duquel est crée un département des Arts et traditions populaires (ATP), lui-même à l'origine du musée national des ATP situé dans le bois de Boulogne où les collections s'installeront définitivement en 1969. Les collections étrangères étaient elles attribuées au musée de l'Homme.

C'est donc dans un cadre à vocation plus anthropologique et ethnologique qu'artistique que le visiteur part à la rencontre des civilisations dites indiennes, au hasard des découvertes réalisées par ces aventuriers et humanistes ayant vécu à la charnière du Moyen-âge et de la Renaissance.

On pénètre sur le territoire consacré aux Amériques, au 2ème étage du musée par un avertissement anonyme et douloureux dont l'origine n'est pas mentionnée : « Chaque parcelle de cette terre est sacrée aux yeux de mon peuple. Chaque colline, chaque vallée, chaque plaine et chaque forêt ont été sanctifiées par quelque événement triste ou heureux, en des temps lointains. » Un autre suit, écrit en 1528 à Tlatelolco. Le nom de ce village, aujourd'hui quartier de Mexico, est à lui seul tout un symbole, celui de la résistance au conquistador et de la phase ultime de la lutte héroïque de Cuauhtémoc contre Hérnan Cortés en 1521. « Les boucliers nous protégeaient, mais les boucliers n'arrêtent pas le désespoir. »

Un couloir et ses vitrines illustrent l'Amérique du nord puis s'ouvre un périple vers le monde méso-américain (moitié sud du Mexique et Amérique centrale) avec en première place un costume de charro (vêtement métisse). Trois salles nous emmènent successivement au Mexique central, à l'époque de l'apogée des civilisations toltèques et aztèques, dans les régions du Golfe et de Oaxaca, puis au coeur de la civilisation maya.

La salle maya

Six vitrines occupent les côtés d'une salle où a été reconstitué un exemple rarissime d'architecture à voûte maya (en encorbellement) ayant conservé son décor et l'éclat de la polychromie. Il s'agit du site de Bonampak (Chiapas), VIIIème siècle de notre ère, dont les trois salles décorées de fresques peintes sur un stuc d'une épaisseur de 2 cm, sont aujourd'hui fermées au public pour des raisons de conservation (les mêmes raisons qui ont fait fermer les grottes de Lascaux et certains tombeaux de la vallée thébaine). Ces fresques polychromes, dont la palette nous renvoie à celle de nombreuses céramiques montrent des scènes présentant à la fois un caractère sacré ou profane. Sur les parois, où l'on peut remarquer la présence de glyphes, se déroulent en frise les préparatifs d'une bataille, une scène de guerre puis la victoire avec la présentation des prisonniers au souverain. Les figures, présentées de profil, sont très dessinées, cernées et remplies d'aplats de couleurs. Il n'y a pas de perspective vraie, l'espace est simplement suggéré par la position des personnages. Ces fresques donnent une foule de renseignements tant sur l'organisation sociale (seigneur, famille, guerriers, prêtres, musiciens, prisonniers dénudés) que sur différents aspects de la vie quotidienne dans un centre cérémoniel comme celui-ci : vêtements, coiffures, parures et ornements (bijoux, plumes, armes, instruments de musique). Ces renseignements sont d'autant plus précieux qu'en dehors de l'iconoclasme pratiqué pendant 500 ans le climat a lui aussi exercé ses ravages. Les textiles et l'art mobilier en général fait de matériaux périssables (bois, plumes, etc.) ne se sont que peu ou pas conservés dans des sites rongés par la jungle et l'humidité et dont l'archéologie ne se préoccupe que depuis les années quarante, alors que les pilleurs s'y sont intéressés depuis beaucoup plus longtemps et que les subsides octroyés au patrimoine au Mexique sont maigres. De nombreux sites bien que localisés ne sont toujours pas fouillés, d'autres le sont à moitié. Mais sur le territoire national, au Chiapas, les bombes ont plu du 1er au 12 janvier 1994 et en février 1995.

Au centre de la pièce se dresse le moulage d'une sculpture monumentale, une stèle de Copan, représentant une divinité. Il est important de rappeler que le métal n'apparaît en Mésoamérique que vers l'an 1000 de notre ère. La sculpture, qu'il s'agisse d'un relief, d'un stuc ou d'une ronde-bosse est le résultat d'un travail exécuté avec des outils de pierre (ciseaux, grattoirs, polissoirs) et de bois durci au feu (coins). Le sable pouvait intervenir en tant qu'abrasif. Le travail exubérant, riche et fouillé (les reliefs sont plus plats à Tikal, Guatemala) est caractéristique du style et de la technique de ce site du Honduras qui s'est développé dès la période du classique ancien (250 avant notre ère - 550 de notre ère) et dont l'épanouissement eut lieu au classique récent (550-950 de notre ère). L'architecture monumentale maya est religieuse. Les superstructures des centres cérémoniels, encore visibles aujourd'hui, sont celles élevées au classique récent, l'habitude étant de reconstruire sur les élévations antérieures. L'ampleur de ces sites reflète une organisation sociale très hiérarchisée. Le pouvoir s'appuyait sur la religion et était d'origine divine. Le travail, la construction, le labourage étaient imposés aux populations vivant à la périphérie des centres cérémoniels, ceci explique les révoltes qui eurent lieu après la conquête lorsque les espagnols imposèrent des impôts en argent.

Une carte et un tableau chronologique donnent aux visiteurs les repères indispensables à une meilleure compréhension des vitrines qui sont organisées par thème (le pouvoir, la guerre, la religion, les coutumes funéraires, les échanges et le commerce, une maison maya du XIIIème) et non en fonction de la chronologie. Des cartels indiquent la datation et la provenance des pièces exposées. Celles de plus belle facture proviennent en général de tombes de dignitaires ou de caches de centres cérémoniels où elles étaient déposées en offrande aux divinités.

L'aire maya est très étendue et se développe sur plusieurs territoires dont la côte pacifique mal connue. Elle englobe pour les régions maya du nord le Yucatan (Campeche, Quintana Roo). L'aire centrale, berceau de la civilisation, comprend les territoires qui vont du Tabasco (Mexique) au Honduras. Puis la région maya sud s'étend des hauteurs des Chiapas (Mexique) jusqu'au Guatemala.

La chronologie adoptée pour la civilisation maya est légèrement différente de celle adoptée pour les autres civilisations (Olmèque, Toltèque et Aztèque pour n'en mentionner que quelques unes) cinquante ans de décalage la différentie ce qui nous donne donc trois grandes périodes. Le préclassique recouvrant la période allant de 2000 avant notre ère à 250 de notre ère. Le classique recouvre la période allant de 250 à 950 de notre ère et correspond à l'épanouissement de la civilisation. Ces deux grandes périodes se subdivisent en ancien, moyen et récent. Le postclassique va de 950 à 1500-1550 et se divise en ancien et récent.

Les arts mineurs : la céramique

Il n'y a à ce jour aucune trace de cette technique avant 3000 avant notre ère. Une théorie, connaissant de nombreux détracteurs, voudrait que des pêcheurs japonais venus de Kiushu et Honshu aient introduit cette technologie en Equateur à Valvidia. Cependant, il semblerait que, de l'autre côté de l'Atlantique en Amérique et à l'instar de la céramique, tout ait été aussi inventé : la vannerie, le tissage, l'agriculture, la domestication des animaux, les maisons, les villages et les villes, des calendriers dont un de 365 jours, l'écriture hiéroglyphique en ce qui concerne les Mayas en grande partie traduite aujourd'hui, (pictographique pour les Aztèques) l'astrologie et le calcul (système de barres et points équivalant respectivement à 5 et 1, les mayas connaissaient le zéro).

La céramique réalisée sans tour est bien représentée dans les différentes vitrines. Elle nous montre des qualités différentes correspondant à des usages, fonctions et couches sociales bien différenciés. Il s'agit donc de céramique modelée à la main (plaques ou colombin) ou moulée, parfois ces deux techniques sont utilisées pour la réalisation d'une même pièce. Cuite dans des fours temporaires à des températures peu élevées, elle est cependant de belle qualité. Les formes, le décor et les dimensions sont variés. Anthropomorphes pour les figurines provenant de l'île de Jaïna (Yucatan), nécropole réservée aux défunts de la hiérarchie, elles nous donnent une lecture très vivante de la vie quotidienne, des activités, des canons esthétiques et des critères de beauté (déformations crâniennes, strabismes volontaires, limage des dents avec incrustations de pierres, scarifications et peintures corporelles). D'autres sont zoomorphes. La céramique dite « orange-fine », reconnue comme la plus belle production, et tenant son nom de sa couleur, fait appel aux techniques du décor architectural. Une fois modelée ou moulée, un stuc à l'aspect très lisse est posé sur la pièce et porte le décor, polychrome, riche et abondant, dont l'iconographie est plus souvent religieuse que profane. Le style présente les mêmes caractéristiques que les fresques de Bonampak. La forme de ces pièces peut être simple ou élaborée : tubes ou cylindres supports de récipients à offrandes ou à encens, gobelets à panse cylindrique, vases galbés aux épaules bien marquées, coupes et plats avec ou sans marli souvent tripodes. Les prêtres et divinités représentés ont pu être identifiés grâce aux codex conservés à Madrid, Dresde et Paris. Des glyphes sont également utilisés comme élément décoratif.

Le stuc, pierres précieuses et semi-précieuses

Le stuc utilisé comme revêtement mural et support de fresques à l'intérieur des architectures, comme engobe pour la céramique, il jouait également un rôle dans le décor extérieur des sites sous la forme de bas-reliefs. En provenance de Palenque deux exemples illustrent cette technique : une tête d'homme avec déformation crânienne et un glyphe.

Une autre constante est celle du goût pour l'obsidienne, le jade, la jadéite, la turquoise, la pyrite. De nombreux objets de cérémonie procédaient de cette fabrication.

L'un d'eux, spécifique de l'aire maya et dépourvu d'utilisation pratique, est une sorte de hache de cérémonie ici en obsidienne appelée « excentrique ». Trouvés dans des caches, le plus souvent au pied de stèles ou d'escaliers, ils y étaient déposés en offrande durant la période classique. Leur forme est soit géométrique soit naturaliste. Les formes humaines ou animales sont représentées en silhouette. L'exemplaire du musée est de taille exceptionnelle : 43 cm.

Une tête humaine de jadéite d'environ 17 cm illustre ce que l'on pourrait appeler l'art du portrait chez les Mayas. Elle représente un jeune homme au visage très lisse et dont le front, le crâne et la coiffure élaborée sacrifient au goût de l'époque (classique récent). La provenance et l'usage de cette pièce sont inconnus. On peut penser qu'elle faisait partie d'un mobilier funéraire. Le jade et la jadéite tenaient un rôle important lors des cérémonies funéraires. Pacal, roi de Palenque de 615 à 683 et dont le tombeau fut découvert en 1950 par A. Ruz Lhuilier dans le temple des inscriptions, portait un masque funéraire fait d'une mosaïque de jade aux yeux d'obsidienne et de coquillage. De nombreux tombeaux ont révélé que les défunts accompagnés de mobilier et de nourriture quittaient le monde terrestre la bouche refermée sur une pierre de jade ou jadéite.

Le périple s'achève et depuis la chute de Tenochtitlan sous le coup des épées et mousquets de ceux qui ont tenté d'effacer leur histoire, leur art, leur culture, leur destin, les « Indiens » habitants de cette terre, exilés dans l'abandon des montagnes, nous font entendre près de leurs morts leur douleur pour vaincre l'oubli et forcer la mémoire. On ne trouve que mort et désespoir dans les mots qu'ils adressent aux Dieux et à ceux qui les gouvernent.

« Sólo como una flor nos lastimas,
asi nos vamos marchitando, 
tus amigos.
Como a una esmeralda
tu nos haces pedazos.
Como a una pintura, tú así nos borras. 
Todos se marchan 
a la region de los muertos, 
al lugar de perdernos... »

(Cantares Mexicanos)


Volcans, numéro 26

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