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Des associations contre les trafics d'adoption

Interview de Florence Lafond

L'adoption est, dans les pays du Nord, un véritable chemin de croix pour les candidats dont les demandes aboutissent très difficilement. L'adoption d'un enfant étranger est souvent une solution qui nourrit des trafics. Cependant ces adoptions peuvent être des succès, particulièrement grâce à l'action d'associations telles qu'Enfance et famille d'adoption dont l'une de ses membres, Florence Lafond, nous expose leur expérience de l'adoption internationale.

Volcans : Quelle est l'ampleur de l'adoption internationale ?

Florence Lafond : Les deux tiers des parents adoptent un enfant étranger, ce qui représente annuellement 3 000 cas.

Qu'est-ce qui pousse des parents français à adopter des enfants originaires d'un autre pays ?

F. L. : Il y a peu d'enfants adoptables en France pour énormément de demandes, puisqu'il y a 14 000 dossiers déposés chaque année. Or l'effectif des enfants adoptables en France est d'environ 4 000 et, sur ces 4 000, deux tiers ne sont pas adoptés, alors que juridiquement ils sont adoptables, parce que ce sont des enfants dits « à particularité », qui présentent des caractéristiques qui ne répondent pas aux souhaits de la majorité des postulants. Ce sont des enfants âgés, des gamins handicapés ou qui ont des gros problèmes de santé, des enfants en fratrie qui ont déjà vécu avec leurs frères et soeurs et qui souhaitent continuer à vivre ensemble, or ce n'est pas pareil d'adopter un enfant ou d'en adopter trois. Bien sûr, des gens adoptent ces enfants, mais ils sont beaucoup moins nombreux que ceux qui adoptent un enfant « sans problèmes ».

Enfin il y a une autre difficulté. Si vous habitez en ville, vous avez des chances d'adopter, car la plupart des abandons d'enfants ont lieu dans les grandes villes. Mais si vous habitez la Corrèze, le Gers ou tout autre département qui n'a pratiquement pas de pupilles, il faudra aller déposer votre dossier dans un autre département. Or, pour des raisons de proximité, les services sociaux d'un département ont tendance à confier les enfants en priorité aux habitants de ce département. Donc les candidatures à l'adoption des candidats résidant dans des départements ruraux ont peu de chances d'aboutir.

Bref, certains candidats à l'adoption s'entendent dire qu'ils n'ont pratiquement aucune chance d'adopter en France, en tout cas pas avant plusieurs années d'attente ; alors ils se dirigent vers l'étranger parce que c'est plus rapide, sachant que beaucoup de pays confient leurs enfants en adoption à des étrangers puisque, sur place, ils n'ont pas de solution pour eux. Donc, dans la mesure où il y a une demande de la part des candidats français et une offre de la part de certains pays, on aboutit à quelque 3 000 adoptions par an.

Plus concrètement, comment s'y prend-on ?

F. L. : Pour que l'adoption soit légale en France, il faut maintenant un agrément préalable que délivrent les services sociaux du département de résidence des candidats, après enquête. Ensuite, il existe une cinquantaine d'oeuvres agréées par le ministère des Affaires étrangères pour placer des enfants. Environ 30 % des adoptions internationales se font à travers ces oeuvres, les 70 % restant sont des adoptions individuelles, c'est-à-dire que les parents partent avec leur agrément en poche. Ensuite, soit ils ont déjà pris contact avec un organisme étranger qui leur a attribué un enfant, qu'ils vont adopter selon la législation en vigueur sur place, soit ils partent en ayant des contacts, mais sans qu'on leur ait dit si un enfant en particulier les attendait, et là... soit l'adoption est possible, soit elle est impossible et ils reviennent pour éventuellement repartir. Dans tous les cas, nous conseillons bénévolement les parents, pour qu'ils évitent de s'adresser à des filières mafieuses.

Où l'argent intervient-il en compte dans ce processus ?

F. L. : Tout cela a un coût, il faut acheter des billets d'avion, il faut payer deux mois, voire plus, de séjour sur place, payer les transcriptions et les traductions des dossiers, des frais d'avocat, etc. A partir du moment où l'adoption est transparente et légale, on peut estimer ce coût à l'avance. Très souvent les gens qui adoptent se sentent impliqués et font aussi un don à l'orphelinat, ce don vient en plus et n'est pas une condition sine qua non pour repartir avec un gamin. Tout cela coûte environ de l'ordre de 20 000 ou 30 000 francs selon les pays. Au-delà, il s'agit de filières mafieuses. En aucun cas il ne s'agit d'acheter un enfant.

Oui, mais compte tenu de l'état des rapports entre pays du Nord et du Sud, cette procédure est tout de même un peu troublante...

F. L. : Il faut dépasser ces stéréotypes, cela ne tient pas la route quand on vit les choses soi-même et quand on rencontre les responsables de l'aide à l'enfance des pays du Sud. Les rapports Nord-Sud sont ce qu'ils sont, je ne vois pas les dons que des parents font aux orphelinats comme en faisant partie. Certaines des associations de parents adoptifs investissent d'une autre manière dans les pays d'origine de leurs enfants. Par exemple, Aconchego, une association de parents d'enfants brésiliens, soutient un centre d'accueil pour les mères en difficulté qui veulent garder leur enfant.

Tout cela semble un peu trop beau...

F. L. : Le propre de notre association est d'initier une réflexion, afin que les adoptants aient une démarche saine par rapport à l'adoption internationale. L'adoption, ce n'est pas d'abord aller sortir un gamin du ruisseau ; les gens qui vont chercher un enfant à l'étranger le font parce qu'ils sont en désir d'enfant, ce n'est pas un acte humanitaire. Il se trouve que le désir contrarié de certains d'être parents va rencontrer un enfant à qui on cherche une famille. Il y a des pays qui vivent des situations catastrophiques et il n'est pas question d'envisager de soulager les souffrances des enfants qui y vivent par l'adoption ! C'est d'autant plus stupide que la plupart des enfants, même quand il ont besoin d'aide, ont une famille biologique pour s'occuper d'eux. Nous demandons aux parents adoptifs d'être sains et de bien considérer qu'il adoptent un enfant surtout parce qu'ils ont envie d'un enfant, qu'ils n'auront pas toute leur vie auprès d'eux un gamin qui leur sera redevable de l'avoir sauvé. L'adoption ne se termine pas quand l'enfant arrive, elle démarre...

Justement , et ensuite ?

F. L. : L'histoire de l'enfant adopté commence ailleurs, surtout s'il est adopté âgé. Les familles adoptives en tiennent compte. Il est évident qu'un enfant adopté ne naît pas à partir du moment où il arrive dans sa famille adoptive. Beaucoup de parents d'enfants adoptés font la démarche d'aller chercher leur enfant à l'étranger, veulent se déplacer, vont voir l'endroit où il a grandi, six mois, un an, six ans. Il ne s'agit pas de nier cette histoire-là. Notre association existe pour aider les parents adoptifs, avant et après l'adoption. Avant, nous sommes en mesure de les informer et de les conseiller, parce que nous connaissons très bien les procédures et que nous travaillons en partenariat avec les différents professionnels concernés, services sociaux, ministères, justice, etc. Après l'adoption, nous organisons des rencontres entre parents adoptifs qui apportent leur témoignage et des débats auxquels nous invitons des intervenants extérieurs, par exemple des psychologues. Il y a quarante ans, quand nous avons fondé l'association, l'adoption était taboue, la stérilité aussi, tout était tabou. Il fallait surtout adopter des enfants qui vous ressemblaient et faire en sorte que personne ne le sache. Des parents adoptifs ont commencé à se rencontrer, à discuter, à refuser le secret, à se rendre compte qu'il n'y avait là rien de honteux. A partir de là, ils ont pu lever le tabou et, aujourd'hui, par exemple, dire tout de suite à l'enfant qu'il est adopté est devenu une évidence et c'est bien moins difficile à vivre qu'autrefois.

Depuis quelques années, il existe des associations de parents adoptifs par pays d'origine. Celle sur la Colombie s'est créée à la suite de la diffusion par TF1 d'un reportage très virulent dénonçant des trafics d'enfants en provenance de ce pays. La Colombie avait réagi en fermant ses frontières à l'adoption. Il y a eu un procès contre TF1 et l'association s'est portée partie civile. Parallèlement, le dialogue avec les autorités colombiennes s'est réouvert et les choses se sont arrangées. L'association compte maintenant de nombreux adhérents qui ont un rôle de conseil et de soutien aux parents très semblable au nôtre, mais limité à la Colombie ; par ailleurs, elle maintient le contact avec les autorités colombiennes qui sont soucieuses de savoir ce que deviennent les enfants qu'elles n'ont pas laissé partir de gaieté de coeur et apprécient qu'il reste des liens entre ces enfants et leur pays de naissance.

Quel est le point de vue des pays d'origine des enfants ?

F. L. : Il y a deux ans, nous avons organisé un congrès sur l'adoption internationale. Nous avons invité cinquante personnes représentant les autorités des pays d'origine, des magistrats, des directeurs d'orphelinats, le directeur du Bienestar (le service de l'adoption en Colombie), des représentants du Brésil, du Mexique, de la Pologne... Tous ont expliqué pourquoi ils acceptaient de confier des enfants en adoption à l'étranger. L'adoption internationale n'est pas une fin en soi, il faut espérer qu'elle disparaîtra un jour et que les enfants abandonnés pourront trouver une nouvelle famille chez eux. Les responsables essaient de trouver des familles sur place, mais bien souvent ils n'y arrivent pas. Alors, plutôt que de garder un gamin en foyer jusqu'à sa majorité pour après le lâcher dans la rue, ils préfèrent le confier à une famille étrangère.

Voilà, le principe est simple : il vaut mieux qu'un enfant grandisse au sein d'une famille que seul dans un orphelinat. Dans les pays qui n'ont pas de tradition d'adoption très développée, le seul moyen de trouver une famille d'accueil pour un enfant est parfois d'aller chercher dans un pays où l'adoption est une coutume bien établie, ce qui est le cas de la France, premier pays au monde pour les adoptions en valeur relative par rapport à la population et second, derrière les Etats-Unis, en valeur absolue.


Propos recueillis par Jean Marie


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